Les agences de notation font la pluie et le beau temps sur les marchés

Vous en avez forcément entendu parler ces derniers jours, je veux parler de la dégradation des notes de crédit de la Grèce, du Portugal, puis de l’Espagne par Standard & Poor’s, et de ses conséquences directes sur les marchés financiers. Une dégradation qui a provoqué un mouvement de panique sur les bourses européennes notamment, avec des chutes journalières record comme on n’en avait plus vu depuis plus d’un an, en pleine crise financière.

Mais si vous n’êtes pas familier des marchés boursiers, peut-être ne connaissez-vous pas Standard & Poor’s et ne savez pas ce qu’est une agence de notation ?

La genèse des agences de notation

Commençons donc par un petit rappel. L’existence des agences de notation remonte à la seconde moitié du 19ème siècle aux Etats Unis.

En pleine conquête de l’ouest et alors que les sociétés ferroviaires se développent à la vitesse grand V, le recours au financement obligataire va se multiplier, faisant apparaître chez les investisseurs un besoin de faire le tri entre les bons et mauvais emprunteurs. C’est ainsi que Henry Poor publia les premières statistiques financières indépendantes en 1868, rejoint par John Moody en 1908 avec les premières évaluations de crédit, puis John Fitch en 1913.

Trois noms majeur dans le petit monde de la notation de crédit et l’analyse financière, à l’origine des trois principales agences de notation mondiales : Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings. Un secteur trusté par ces trois géants américains, en situation quasi-monopolistique, et qui fait naturellement craindre pour leur objectivité et leur indépendance.

Est-ce d’ailleurs un hasard si Michel Barnier, commissaire européen chargé des services financiers, dit, ce matin dans Les Echos, réfléchir à l’idée d’une agence de notation européenne, estimant que « le paysage des agences, compte tenu de leur importance, est très concentré dans quelques mains » ? « Il ne m’appartient pas de juger si une notation est correcte ou non. Mais je m’attends à ce que les agences de notation soient rigoureuses et responsables dans leur processus d’évaluation et totalement impartiales » ajoute t’il.

Des propos qui font d’ailleurs suite à ceux du directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, qui avait affirmé qu’il ne fallait pas « trop croire » à ce que disent les agences de notation, même s’il reconnaissait leur utilité…

Les limites du système

Des critiques à mots à peine couverts envers les agences américaines, critiques qui ne peuvent qu’être renforcées lorsque l’on sait que, dans la plupart des cas, la notation est effectuée à la demande même de l’émetteur, et payée par ses propres soins, quand ce ne sont pas les agences elles-mêmes qui aident les institutions financières à mettre en place des produits financiers qu’elles vont noter par la suite ! Comment dans ces conditions là ne pas craindre d’évidents conflits d’intérêts, et croire à l’impartialité des agences de notation…

Les exemples ne manquent d’ailleurs pas : Parmalat, le « Danone » italien, qui pouvait se targuer de la note maximale triple « A » deux mois avant sa chute, ou encore le célèbre Enron, dont la dette n’a été dégradée par Moody’s qu’à peine plus d’un mois avant sa faillite, tandis que Standard & Poor’s fit encore mieux, réduisant la note du géant de l’électricité qu’une semaine avant sa chute seulement ! Un aveuglement surprenant qui avait conduit ces mêmes agences à noter positivement plus de 90% des sociétés lors du gonflement de la bulle internet, ne finissant par reconnaître le désastre qu’à l’été 2002, à quelques mois du point bas des marchés.

On aurait pu croire à une prise de conscience et un soucis d’une meilleure éthique lorsque la SEC (gendarme de la bourse américaine) mit son nez dans l’affaire avec le Credit Rating Agency Reform Act en 2006. La suite des évènements va nous prouver le contraire, avec la bulle du crédit qui débouchera sur la crise financière de 2008, sans qu’aucune des agences de notation n’ait vu le coup venir.

Distribuant massivement des triples « A » aux fameux dérivés de crédit, les agences de notation vont réaliser en 2006-2007 entre un tiers et la moitié de leur chiffre d’affaire dans ce secteur… Vous avez dit conflit d’intérêt ?

La notation des états

Peut-être est-ce mieux alors du côté de l’évaluation de la dette des Etats ? Malheureusement non, puisqu’à l’exception de la Thaïlande, aucune des nations impliquées dans la crise asiatique n’a été dégradée au préalable. Il en fut de même avec la crise mexicaine en 1994, le Mexique ne voyant sa note dégradée que début 1995 par Standard & Poor’s tandis que Moody’s ne toucha pas sa note.

Que penser donc dans ces conditions des abaissements de notation de la dette de la Grèce, du Portugal puis de l’Espagne cette semaine, alors que nous avions déjà eu d’ailleurs des dégradations début décembre dans l’indifférence générale ?

Quel crédit (c’est le cas de le dire) et quelle objectivité accorder à ces fameuses agences de notation, qui possèdent par ailleurs un pouvoir phénoménal sur les marchés, et pas seulement les marchés actions, le plus pénalisé étant le marché des taux. Allez demander aux Grecs ce que sont devenus ces derniers mois les taux auxquels ils peuvent espérer se financer…

Et si tout ceci n’était qu’un écran de fumée pour masquer le problème de l’endettement américain, qui est d’une autre dimension que l’endettement de la Grèce ou du Portugal ?

J’avais déjà parlé de tout ceci il y a près de deux mois de cela dans un article sur les « PIGS : prétexte ou réel danger pour les marchés ? ». Un article que je vous invite à relire tant il est toujours d’actualité.

Je terminerai par un extrait de l’édito de Winstone – un site dont j’apprécie le ton et l’indépendance – un certain 5 février : « Jusqu’où ? jusqu’où va-t-on ? L’inquiétude des marchés et la victoire des vendeurs hier vient de quelques fondamentaux (mauvais indice du chomage US), d’une fable (pseudo risque sur la dette des Etats européens : un Etat ne peut pas faire faillite ! Hello, vous vous souvenez de l’Islande, ils ont fait faillite, il paraît, so what ?) et de la théorie de la gravité ou du comportement des foules (relire de très bons livres sur le comportement des foules appliqué à la Bourse). Très bien, on fait quoi ? » Les marchés ont, me semble t’il, apporté une réponse à cette question.

Bibliographie : Marc Aragon – Agences de notation (fev 2010)

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