Voilà quelques mois que j’interviens régulièrement sur ce site, pour vous proposer des articles ou des analyses de marché. Mais je suis également gérant de portefeuille sous mandat (via une société de bourse). Je vais donc changer un peu de registre et vais tenter de vous présenter de temps à autre le quotidien d’un gérant, son travail d’analyse, ses convictions, ses anticipations, mais aussi ses doutes et incertitudes.
La période actuelle n’est certainement pas la plus facile pour démarrer une telle chronique, mais après tout, il faut bien commencer un jour, et le comportement actuel des marchés est une configuration parmi d’autres, que sera amené à rencontrer plusieurs fois dans sa vie tout gérant comme tout investisseur en bourse. C’est d’ailleurs souvent dans ces périodes que l’on peut voir la réelle différence entre deux gérants ou entre une gestion sous mandat et un fond d’investissement. Les approches du marché et les stratégies peuvent être différentes, mais comment réellement les évaluer dans un marché qui monte calmement et régulièrement ? Rien ne vaut des périodes un peu agitées comme celle que nous sommes en train de vivre pour valider une stratégie, et voir à la fois la tenue des portefeuilles mais également la réaction des clients.
Sans rentrer trop dans les détails, mais pour situer un peu les choses, le mode de gestion que j’ai mis en place diffère un peu de ce qui se fait en général, puisque j’effectue une gestion relativement active, basée sur des prises de bénéfices fréquentes et sur une part de liquidités fluctuante, ce qui me permet d’augmenter ou réduire l’exposition des comptes en fonction des conditions de marché.
Mais comment faire lorsque vient la période des congés ? En temps normal, tout est prévu : d’autres gérants de la société avec laquelle je travaille sont là pour gérer temporairement les comptes clients, selon des instructions laissées par le gérant lui-même. Seulement voilà, quand le marché s’agite et panique, comme ce fut le cas cet été, et qu’on a prévu ses vacances en famille pile à ce moment là, on a beau savoir que l’on peut toujours se reposer sur quelqu’un d’autre, pas facile de transmettre des instructions en pleine incertitude, avec une volatilité importante qui peut remettre en question tous les jours l’analyse faite la veille.
J’ai donc opté pour une solution de connexion internet mobile, histoire de pouvoir suivre quotidiennement les marchés, sans y passer non plus 8 heures par jour. Et tant pis pour les vraies vacances : ce sera pour un peu plus tard. De toute façon, vis à vis de mes clients, comme de moi-même, j’aurais eu du mal à bien me reposer sachant que les marchés étaient particulièrement animés pendant ce temps. Et ce fut finalement un très bon compromis, puisque savoir que je pouvais me connecter à tout moment quand bon me semblait m’a permis quand même de décompresser, et ce malgré des conditions de marché particulièrement agitées.
Car il ne faut pas croire qu’un gérant reste toujours serein quelles que soient les évolutions du marché. J’ai beau ne pas travailler seul (on se réunit toutes les semaines avec les autres gérants pour faire un point), il y a des périodes plus faciles à gérer que d’autre, des mouvements plus ou moins prévisibles, plus ou moins explicables. Quoiqu’il en soit, il est rarement facile de se faire une idée précise d’une situation donnée, surtout sur le moment, au coeur de la tourmente. Acheter en pleine baisse en pensant que ce n’est que provisoire, ou vendre rapidement au moindre rebond pour libérer des liquidités ? Il est sûr qu’un mode de gestion actif avec une part de liquidité flexible permet d’aborder ce type de périodes avec plus de sérénité, mais cela n’enlève pas tous les doutes au moment de passer un ordre. Seule l’expérience et une certaine confiance dans le travail effectué permet de savoir comment réagir dans ces conditions là.
Prendre mes « congés » à cette période là a d’ailleurs été une expérience intéressante, car cela m’a permis de prendre un certain recul par rapport à la situation, tout en restant en contact avec le marché. Etre constamment le nez dans le guidon peut parfois conduire à quelques erreurs d’appréciation, et il est bon de temps en temps de se poser pour mieux analyser la situation.
Dans la baisse que nous avons connue depuis un bon mois maintenant, un des phénomènes perturbant fut la réaction plus marquée à la baisse des marchés européens et du marché français en particulier, par rapport à ses homologues américains. Si la raison invoquée était la seule en oeuvre, à savoir la crise du crédit à risque outre-atlantique, pouvant éventuellement entraîner chute de la consommation et baisse de la croissance, pourquoi alors les marchés américains n’ont-ils pas été plus impactés? Pourquoi le CAC est-il sorti de sa tendance haussière datant de 2003, alors que les indices américains, comme le DAX d’ailleurs, restent encore tranquillement au sein de leur canal haussier ? Est-ce un épiphénomène, une exagération qui sera amenée à être rapidement corrigée, ou est-ce le début d’une dégradation plus prononcée encore ? La bourse comme l’économie est devenue globale, mondiale, et il faut sûrement aller chercher aussi du côté des taux de changes pour trouver quelques explications complémentaires. Les prémices de l’éclatement du carry trade ? Pourquoi pas, mais les marchés américains ne devraient-ils pas là aussi être plus impactés, en raison de taux d’intérêts plus élevés? Peut-être plus encore le niveau de l’euro-dollar. Si on regarde la progression des bourses européennes depuis 2003, couplée à l’évolution du taux de change euro-dollar, les investisseurs américains ont été gagnants sur toute la ligne, profitant à la fois de la baisse du dollar face à l’euro et de la hausse des marchés. Alors que le SP500 comme le DAX ont rejoint très précisément leurs sommets historiques de 2001 début juillet, n’est-il pas normal que l’on assiste à des prises de bénéfices, fussent-elles particulièrement appuyées ?
Rappelons-nous d’ailleurs que début juillet, alors que les marchés américains lançaient leur dernière impulsion haussière, le CAC comme le DAX ont refusé de suivre le mouvement ?
Et si l’on rajoute à ce scénario une possible réappréciation du dollar face à l’euro dans les prochains mois, nous avons là un scénario qui se tient, avec un bémol toutefois : la très bonne tenue du DAX.
Mais à quoi bon élaborer un scénario moyen terme ou long terme, qui ne reste d’ailleurs qu’un scénario et en aucun cas une certitude, lorsque l’on fait une gestion plutôt court terme ? J’y reviendrai lors d’une de mes prochaines interventions 😉