Un de nos lecteurs avisés, Gilles Caye, du site apprendrelabourse.org, nous a fait parvenir le commentaire suivant à propos de notre article du 8 mai sur « L’économie de marché et l’exception française« . Son commentaire étant trop long pour passer dans la zone correspondante, et compte tenu de la qualité de ce dernier, nous avons décidé de le publier en tant qu’article à part entière. Merci à lui, et à vos commentaires naturellement pour nous donner votre avis.
Bonjour,
Je pense qu’une grande partie de cette exception française est à rechercher dans la 2ème guerre mondiale durant laquelle la France a perdu son statut de grande puissance mondiale en à peine quelques semaines de combats, à la suite de quoi elle a été coupée en 2 pour plusieurs années.
Le CNR (Conseil National de la Résistance) a permis de ressouder le pays au profit d’une alliance de groupes très très divers comme des représentants de syndicats de la CGT et de la CFTC, des communistes, des anciens SFIO et des conservateurs de droite etc…
Le CNR a été la base de grandes décisions comme les nationalisations (banques, assurances, secteur énergétique) et aussi de la mise sur pied de la sécurité sociale.
Le point de ralliement était de repartir de l’avant, reconstruire sur une base qui peut s’apparenter à un consensus national sur le plan politique mais économiquement c’est une vision et une action très « dirigistes ». Communistes et De Gaulle n’étaient pas sur la même ligne mais leur point commun était la définition d’une politique industrielle et ils pouvaient s’entendre en tant que dignes représentants de la Résistance, seul fait historique qui permettait de reconstruire LA France. Et effacer le traumatisme.
EDF, la sécurité sociale et de grands travaux de reconstruction ont laissé dans l’esprit des français les bienfaits de l’action de l’État comparativement au marché qui s’apparente plus dans le contexte d’alors au marché noir, à la spéculation interne et extérieure, à la crise avant-guerre ou encore à la thésaurisation des années 30. Le marché, c’est l’agression extérieure, l’État c’est un peu le protecteur retrouvé à cette époque.
La Sécurité Sociale a connu un bond formidable au travers de l’assurance-vieillesse, de l’assurance-maladie etc sous l’impulsion du CNR. C’est là que sont nés « les acquis sociaux », dans un socle national qui est bien plus profond après le traumatisme de la guerre que les mesures gagnées lors du Front Populaire.
Il était difficile d’être contre ces actions puisque d’une part dans le temps, elles ont été pour beaucoup un succès en tant que tel, et d’autre part, le symbole même du retour à l’unité nationale, l’image même de l’État protecteur qui avait fait défaut avec la défaite quelques années auparavant et le début de l’État-Providence des années qui allaient suivre jusqu’à nos jours.
Sur le plan théorique, intellectuel et universitaire, les idées dirigistes, étatiques se sont d’autant plus facilement répandues qu’aller contre elles remettait en cause toute cette reconstruction. Presque impossible à critiquer ou même à commenter même si cela s’est atténué. Il s’agit de notre socle historique commun très dangereux à démettre pour celui qui s’y risquait et difficilement dénouable aujourd’hui après toutes les constructions économiques et sociales qui se sont réalisées à partir de celui-ci depuis 6 décennies.
Être contre ces idées, c’était d’une certaine manière être contre la reconstruction, contre les acquis sociaux naissants et surtout contre l’unité nationale et le CNR. La place des communistes est montée à 26-28 % dans certaines élections après guerre… pour beaucoup grâce à leur contribution dans la Résistance.
Aucune alliance entre conservateurs de droite dont une bonne part étaient de fervents catholiques avec les communistes n’aurait pu avoir lieu sans l’épisode de la guerre aux conséquences très spécifiques pour la France. Aucun terreau aux idées dirigistes et étatiques dans un pays industrialisé et surtout terrien, agricole ne pouvait être aussi fertile du fait de cette histoire particulière alors que le pays n’a cessé de vivre et prospérer dans l’économie de marché, l’État venant y trouver ses financements.
Dans les années 80-90, on se débattait avec l’idée d’économie mixte (public – privé) faisant des parallèles pas toujours bien probants avec le modèle scandinave, qui a fortement évolué depuis d’autant plus facilement qu’il ne porte pas notre histoire, et on oubliait en fait que les années 60 avaient encore bénéficié de taux d’imposition en France faibles propres à une économie libérale.
Un socle historique majeur et 60 ans de construction économique et sociale dans le giron de l’État sur cette base ne vont pas se dénouer en 3 coups de cuillère à pot… (à moins d’une faillite)