Je me suis récemment insurgé contre les analyses biaisées (volontairement ou non) et les analyses erronées. Je vous avais invité également il y a quelques mois à aiguiser votre sens critique à la lecture de dossiers pourtant apparemment bien ficelés (cf. « Méfiez-vous des contrefaçons…« ). J’aimerais revenir aujourd’hui sur une des recettes fréquemment utilisée sur internet notamment pour accroître la fréquentation d’un site et augmenter les ventes de conseils ou gestion : la peur…
Nous l’avons noté ici même sur Fenêtre sur Cours : la fréquentation du site augmente lorsque les marchés sont à la baisse, et ce d’autant plus que le repli a été violent et a effrayé les investisseurs. A la recherche d’avis, d’analyses, ou simplement de réconfort, les petits porteurs touchés par une forte baisse des marchés ont tendance à chercher au travers de leurs lectures l’analyse ou le conseil qui va pouvoir les guider dans un marché qu’ils ne comprennent plus et qui va à l’encontre de leurs anticipations. Cette recherche du « gourou », et ce mécanisme de la peur qui incite les investisseurs à se rapprocher de « spécialistes » ou « professionnels » pour les guider, certains l’ont bien compris et l’exploitent à fond.
Lorsque la bourse monte tranquillement, tout le monde parvient plus ou moins à s’en sortir et à gagner. Mais lorsque le marché est à la baisse, et ce d’autant plus que les replis sont souvent plus brutaux que les montées, c’est la panique. En entretenant ce sentiment d’insécurité et de peur (mécanisme qui fonctionne très bien aux Etats-Unis depuis des années et qui ne s’arrête pas aux seuls marchés financiers…), certains exploitent à outrance la fragilité psychologique de bon nombre d’entre nous pour nous vendre toutes sortes de services, ou simplement accroître la fréquentation de leur site internet.
Pour illustrer mes propos, j’aimerais prendre l’exemple d’une vidéo trouvée ces jours-ci, et qui avance l’hypothèse d’un prix d’équilibre pour le Dow Jones à 5000 ou 6000 pts. Je tiens à préciser que je ne connais pas l’auteur, Mr Dontigny, au demeurant très pédagogue et sympathique dans ses interventions, ni ses services, que je n’ai rien contre lui et que je ne suis pas en mesure de dire si son analyse est volontairement ou non pessimiste. Il se garde d’ailleurs bien de pronostiquer un Dow Jones sur ces niveaux dans les prochains mois ou prochaines années, mais le simple fait qu’il parle de ce seuils situées 50% en dessous des seuils actuels (il cite même des niveaux potentiels plus bas encore) suffit je pense à effrayer et placer sur la défensive bon nombre de ceux qui auront écouté cette vidéo.
Le but de mon intervention n’est bien entendu pas de vous dire que les marchés vont au contraire monter dans les prochaines années, et qu’un Dow Jones à 5000 ou 6000 pts est impossible. Rien n’est impossible en bourse, et nous ne sommes évidemment pas à l’abri d’une nouvelle rechute. Mais j’aimerais avec cet exemple montrer à quel point il est important de garder un regard critique sur tout ce que vous pouvez lire et entendre, que ce soit sur internet, dans la presse ou à la télévision. Aussi « professionnel » que puisse être l’intervenant que vous lisez ou écoutez, il ne détient pas forcément la vérité, peut commettre des erreurs, sans compter qu’il peut être animé parfois de mauvaises intentions.
Dans le cas présent, Mr Dontigny s’appuie sur la courbe du Dow Jones depuis plus de 100 ans, et le niveau moyen d’appréciation (hors dividendes) du marché chaque année pour en conclure, sur la base d’une régression linéaire, que le Dow a un niveau d’équilibre de nos jours autour des 5000 à 6000 pts (cf. graphique ci-dessous).
Si l’utilisation d’une échelle logarithmique est tout à fait appropriée dans le cas présent, cela nous donne sur ce graphique une droite passant certes par 5000 ou 6000 pts de nos jours, mais se retrouvant aussi visuellement très proche des niveaux actuels. Une différence minime au niveau de sa pente suffirait donc pour la faire passer légèrement plus haut, et changer totalement l’impact de l’analyse. Pourquoi aussi vouloir modéliser la tendance par une droite, alors qu’il semble que visuellement, une exponentielle serait plus appropriée, comme le montre le graphique ci-dessous ?
Mais là n’est en fait pas tellement le problème. Le problème vient du mode de calcul du Dow Jones, obtenu par la moyenne arithmétique des prix des titres le composant, et non de leur capitalisation boursière pour les autres indices mondiaux. De fait, un titre cotant 200$ va donc peser deux fois plus dans le Dow Jones qu’un titre à 100$. Ce mode de calcul très discutable, que nous avions déjà abordé dans notre article « Le Dow Jones, ou comment contenter le petit épargnant américain« , influence donc considérablement dans le temps l’évolution du Dow Jones, en le poussant à augmenter de façon plus ou moins exponentielle.
En effet, avec un tel mode de calcul, les titres des sociétés se comportant le mieux, ont, en augmentant, tendance à prendre de plus en plus de poids dans l’évolution de l’indice, tandis que les sociétés les moins performantes perdent petit à petit de leur influence néfaste sur l’indice. Au delà du fait que pondérer un titre à partir du cours de son action ne rime à rien (une société dont l’action cote 100 n’est pas forcément meilleure ou plus puissante qu’une société dont l’action cote 10), cela biaise donc totalement l’évolution du Dow Jones sur le long terme, et pourrait donc tout aussi bien accréditer une modélisation de type exponentielle.
Avec une telle approche, on pourrait même en arriver à une conclusion inverse de l’analyse de Mr Dontigny : un Dow Jones à 15000 pts…, avec des conséquences naturellement très différentes sur le sentiment de l’internaute après de telles prévisions.