Chronique d’un gestionnaire de portefeuille (partie V)

A plusieurs reprises sur ce site, je vous ai présenté quelques-uns des aspects de mon métier de gérant de portefeuille, pour vous aider à mieux cerner cette activité, et découvrir quel peut être mon quotidien. Aujourd’hui, le CAC vient de dévisser de 7% aujourd’hui, chute de plus de 15% en 3 semaines, sans parler du repli des petites et moyennes valeurs, et bien entendu de la chute sur le second semestre 2007.

Bref, compte tenu du comportement actuel des marchés, et si je n’ai reçu pour l’instant qu’un mail aujourd’hui d’un client inquiet par une telle chute, et un coup de fil d’un autre qui souhaitait profiter de la chute pour se renforcer, je me doute que d’autres ne vont pas tarder à se manifester. Et quoi de plus naturel, alors que l’information est en train de gagner l’ensemble des médias : la chute du jour était à la une des journaux télévisés ce lundi soir, la plus forte depuis un certain 11 septembre… De quoi raviver quelques craintes dans la tête des investisseurs.

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Il me faut donc, et il va me falloir sans doute dans les prochains jours, répondre aux inquiétudes des uns, et à l’empressement des autres pour renforcer leurs positions sur le marché. Que dire, que faire, dans de telles configurations de marché ? Si la situation était claire et limpide, nous ne connaîtrions pas les mouvements actuels sur le marché, résultat des incertitudes sur l’économie américaine, des craintes de faillite, des répercussions de la crise sur le reste du monde, et de la crise de confiance interbancaire.

Seulement voilà, nous nous trouvons dans une situation particulièrement confuse et incertaine, avec d’un côté des valorisations plutôt attractives, même en prenant en compte un ralentissement à venir des bénéfices, et de l’autre une configuration graphique particulièrement inquiétante, traduisant une forte défiance pour les marchés financiers depuis plusieurs semaines. On a beau être gérant, on n’a pas non plus forcément une meilleure idée de ce que nous réserve l’avenir. Tout au plus davantage d’informations à disposition, et bien sûr une certaine expérience des marchés financiers.

La dernière crise sur les marchés remonte bien entendu à l’éclatement de la bulle internet. Si la crise actuelle semble très différente sur de nombreux aspects, on peut trouver un élément de comparaison : la crise de confiance envers les sociétés et les marchés financiers qui est en train de naître, sur fond de craintes de pertes bien plus importantes qu’annoncé et de faillites. A l’époque, c’était la faillite d’Enron, les difficultés de Vivendi qui allait « mieux que bien ». Aujourd’hui, ce sont les craintes de faillite des financières américaines, la crise du crédit et les conséquences que cela pourrait avoir. Les interventions des fonds souverains ou le rachat de Countrywide par Bank of America ne semblent pas avoir pour l’instant permis un retour de la confiance.

Que faire donc, et que répondre aux clients inquiets, ou qui au contraire souhaitent renforcer leurs positions ? La première chose à faire est de prendre un peu de recul, d’éviter de réagir à chaud, et tenter de faire preuve de bon sens, tout en essayant bien sûr de s’adapter aux exigences et besoins de chacun.

La bourse est faite d’une alternance de cycles haussiers et baissiers. Pendant les phases de hausses, les investisseurs prennent (ou reprennent) progressivement confiance et viennent de plus en plus vers la bourse au fur et à mesure de la hausse. Puis arrive la baisse, souvent plus brève et violente que la hausse qui l’a précédé (sans être forcément plus importante), pendant laquelle ils ont tendance à s’en détourner, écoeurés. Si l’idéal est d’investir régulièrement en bourse, ce qui permet de lisser l’effet des forts mouvements dans un sens ou dans l’autre, ce n’est que rarement le cas en pratique. Et s’il n’est pas possible de dire quand la phase de repli actuelle s’arrêtera, pour laisser la place à un mouvement haussier, il est possible de dire si les marchés sont historiquement chers, peu chers, voire particulièrement bon marchés, si la tendance est haussière, neutre, ou baissière.

Nous venons de vivre un repli de plus de 20% par rapport aux plus hauts de l’été dernier sur le CAC, et plus de 30% sur les petites et moyennes capitalisations. La baisse est donc bien entamée, et si rien ne dit que le repli ne va pas se poursuivre, il semble déjà qu’il soit déjà un peu tard à court terme pour sortir sur de nombreux titres.

Côté valorisations, et malgré le rebond des marchés depuis 2003, qui n’a fait qu’accompagner la progression des bénéfices, les marchés n’ont dans l’ensemble jamais été survalorisés ces dernières années, et se retrouvent désormais clairement sous valorisés sur une moyenne historique, même en intégrant une révision à la baisse des résultats des sociétés pour les mois qui viennent. Un deuxième élément qui semble indiquer que le moment n’est pas le meilleur pour sortir ou réduire son exposition aux marchés, au contraire.

Mais si on se fie à l’ambiance actuelle sur les marchés, à la tendance CT et à l’analyse graphique, malgré le fait que le CAC arrive à proximité de supports importants, force est de constater que le moment ne semble pas forcément idéal pour investir.

Ce n’est en effet pas parce que les valorisations ne sont pas élevées que la baisse ne peut pas se poursuivre à CT. Il y a toujours eu des sociétés valorisées 100 fois leurs revenus attendus, comme il y a toujours eu des sociétés se retrouvant avec une capitalisation boursière sensiblement inférieure à l’actif net.

Bref, des éléments positifs d’un côté, d’autres plus négatifs, avec des différences selon l’horizon de temps sur lequel on se place. Et si c’est bien sûr au gérant de s’occuper au mieux à court terme des fonds dont il a la responsabilité, via des arbitrages entre valeurs, et une exposition plus ou moins forte du portefeuille selon le moment, le client va devoir lui gérer des aspects plus long terme, à savoir la part de son patrimoine qu’il va consacrer à la bourse, à l’immobilier, aux placements court terme, etc… Au gérant de le conseiller le plus honnêtement et objectivement possible, et l’aider à prendre du recul par rapport à la situation actuelle.

Il me semble en tout cas que dans une optique au mois de court terme, le moment actuel est particulièrement mal choisi pour sortir des marchés financiers. Et pour les plus empressés pour réinvestir, mon rôle est de voir avec eux comment répartir ces investissements dans le temps, et au fur et à mesure de l’évolution des marchés. Si nous sommes peut-être proches d’un point bas, les mauvaises nouvelles et la défiance peuvent aussi se poursuivre, entraînant le marché plus bas encore. Il me semble donc être opportun d’investir par paliers et par périodes, en fonction de l’évolution de la situation, pour une meilleure maîtrise du risque global. C’est le message que je fais passer et que je continuerai de faire passer à mes clients. J’espère ne pas trop me tromper. C’est toute la difficulté du métier, surtout dans de tels moments. Mais c’est aussi ce qui le rend si intéressant, malgré d’inévitables moments de doute.

A bientôt pour la suite de cette rubrique, des autres déjà abordées, ou tout autre sujet qui me passerait par la tête 🙂

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