J’ai relevé ces jours-ci une petite annotation que je n’avais encore jamais remarquée, et qui en dit long sur l’hypocrisie de notre système réglementaire. En résumé, il s’agissait d’une interview d’un responsable de la branche « Asset Management » action d’une banque française, au sujet de la levée d’interdiction des ventes à découvert sur les valeurs du secteur financier, et plus largement sur la situation du secteur en bourse.
A la fin de l’interview, le journaliste pose la question suivante : « Si on devait n’en avoir qu’une [banque] dans un portefeuille, quelle est celle qui retiendrait votre attention ? »
Voici la réponse, et surtout la petite annotation en fin d’article, pour surtout bien se conformer à la règlementation en vigueur…
» Spontanément je répondrais la BNP, encore trop bon marché et gérée avec clairvoyance. Elle n’a pas commis de faute pendant la crise, publié des résultats dans le vert chaque trimestre et fait donc preuve d’une grande qualité dans sa gestion des risques. L’entreprise s’est renforcée pendant la crise en acquérant à bon compte Fortis, s’assurant ainsi une croissance bénéficiaire solide. En banque d’investissement, la société figure maintenant en tête des classements, ce qui la rend incontournable à l’avenir et lui garantit des revenus conséquents. Enfin, la BNP a un ratio de fonds propres déjà élevé, ce qui lui permettra très certainement de distribuer un dividende relativement élevé à ses actionnaires et devrait faire la différence, cette fois en bourse. »
Les informations mentionnées dans cet article ne constituent en aucune façon une analyse financière. Ces informations ne sont donc pas soumises aux dispositions règlementaires visant à promouvoir l’indépendance des analyses financières et interdisant le prestataire de services d’investissement d’effectuer des transactions sur l’instrument concerné avant la diffusion de la communication.
En gros, l’interview n’étant en aucun cas une analyse financière (comprenez un conseil d’achat ou de vente), elle n’interdit pas à notre gentil conseilleur d’avoir déjà pris position sur les banques citées dans l’article. De qui se moque-t’on ?
L’entreprise s’est renforcée à bon compte pendant la crise, elle s’est assurée une croissance bénéficiaire solide, elle est en tête des classements, elle est incontournable, des revenus conséquents sont garantis, et un dividende relativement élevé est presque certain! Si ce n’est pas une forte incitation à l’achat, je ne sais pas de que c’est.
Que les autorités arrêtent de nous prendre donc pour des imbéciles. Il serait tellement plus simple d’indiquer :
– quelle part de ses avoirs la personne donnant le conseil a investi sur la ou les valeurs conseillées,
– et quel est son prix de revient.
On pourrait demander aussi l’objectif, pour être complet, mais il serait délicat d’obliger la personne à conserver ses titres au minimum jusqu’à l’objectif en question pour éviter tout risque de manipulation.
Au lieu de ça, on nous trouve une jolie formule pour contourner les contraintes législatives, et se protéger de tout conflit d’intérêt. Or ce dernier étant quasi-inévitable, il serait tellement plus simple de jouer la franchise. Cela éviterait bien des hypocrisies, et cela permettrait par exemple à votre serviteur de donner parfois des conseils un peu plus tranchés. Etant gérant de portefeuille sous mandat, je ne suis en effet pas censé donner des conseils d’achat ou vente, sous peine d’être accusé de conflit d’intérêt…